bergers en famille

Bergers, quatre mois entre unschooling et brebis

Cela fait maintenant trois jours, trois jours que nous sommes en alpage.

La fatigue de la routine de la vallée s’atténue doucement. On relâche tout. 

Entre le soulagement du changement, la crainte du nouveau. Enfin le nouveau, pas vraiment. C’est plutôt «Et cette année, comment ça va se passer ? Est-ce que les enfants ne vont pas trop s’ennuyer ?»

Cette année, nous avons imaginé un nouveau rythme, pour que je puisse continuer à travailler mon blog.

Un petit retour en arrière

L’année précédente, c’était notre première année en famille dans les alpages. Loon avait deux ans et demi, Tilouann six ans. Loon tétait toujours un peu la nuit, pas mal la journée. Gros challenge, donc. Je me demandais si j’allais pouvoir gérer la fatigue due à ce métier très prenant, très particulier, entier, avec la fatigue due à l’allaitement et aux besoins de mes deux enfants. Certes, nous étions deux adultes, mais j’étais la seule à allaiter. Et je voulais garder les brebis. C’est un métier que j’affectionne particulièrement. C’est le métier que j’ai fait connaître à mon compagnon. C’est le métier qui m’a permis de me découvrir, de grandir, d’éprouver mes limites. Ça me permettait d’être quatre mois seule, une alternance salvatrice dans ma vie que je trouvais parfois dénuée de sens, de liens, de racines.

De seule, nous avons fait ce métier à deux. Et maintenant, nous étions quatre. Impossible pour moi d’attendre à la cabane avec les enfants. J’aurais eu la sensation de louper quelque chose, d’être là pour le décor, en quelque sorte. Je crois que mon moral en aurait pris un coup. J’adore mes enfants, je souhaite répondre à leurs besoins, les respecter, ne plus les mettre à l’école. Je souhaite également exister, avoir des envies, me respecter et m’écouter.

Nous avons donc décidé de garder les brebis à mi-temps : mon compagnon le matin, moi fin d’après-midi début de soirée. Nous ferions tout le reste à deux, sauf l’allaitement bien sûr.

Alors le reste, c’est quoi ? Eh bien, tout comme à la maison, plus les soins des brebis, les parcs de nuit, l’intendance des courses (hé oui, ce n’est pas la porte à côté et celui qui fait les courses doit emmener les enfants), les lessives à la main, tout faire soi-même comme le pain, bidouiller le panneau solaire, se couper les cheveux, faire le fromage avec le lait de nos deux chèvres, faire du bois pour se chauffer…

Rapide zoom sur le métier

Bon, pour ceux qui ne connaissent vraiment pas ce métier, permettez-moi une petite description rapide.

La belle saison (environ quatre à cinq mois) les brebis montent en altitude, en montagne, pour manger de la bonne herbe verte et nourrissante. Pour ne pas monter tout de suite au sommet des montagnes (comme elles en auraient envie au printemps) pour optimiser la pousse de l’herbe, l’entretien des pâturages, pour les protéger des loups, pour les soigner, les aider à mettre bât si besoin, elles sont « munies» d’un ou deux bergers.

Les personnes qui ont aimé cet article ont aussi lu :  Une page qui se tourne

Les bergers mènent les brebis et suivent la montée du troupeau. Ils ont une ou plusieurs cabanes sur l’alpage qui deviennent leur maison durant cette période. Les cabanes sont maintenant de mieux en mieux équipées, mais petites, pas toujours prévues pour une famille.

Sur notre alpage, nous avons deux cabanes : une à 1900 m, pour le printemps et l’automne, et une à 2100 m de fin juillet à mi-septembre environ. Nous avons un panneau solaire pour avoir l’électricité, de quoi avoir la lumière et recharger les téléphones, une glacière et un chauffe-eau au gaz.

Les brebis mangent en deux fois dans la journée (environ deux fois quatre heures) et entre les deux, c’est la chaume. La chaume, c’est lorsque leur premier estomac est plein (elles en ont quatre), elle rumine pour le vider et continuer la digestion et ainsi elles pourront repartir manger. Au début de l’été, lorsqu’il fait très chaud, nous pouvons les sortir de 6h30 à 10h30 puis de 17h à 21h. Fin septembre, elles sortent vers 9h et chaument 1h, environ.

Nous travaillons donc 8h par jours 7 jours sur 7 pour la garde et à cela se rajoute les temps de soin, montage et démontage de parc et tout ce que j’ai abordé plus haut…

Bref, revenons à nous moutons ! Tout ça pour en revenir au fait que les cabanes étant petite, les enfants ont eu le droit de monter seulement un jeu chacun, en plus des feutres, feuilles, livres, peinture et quelques jeux de société.

Tilouann a choisi des Legos et Loon une poupée et des aimants. J’avais peur qu’ils s’ennuient. Et bien, que nenni! Ils ont peu joué avec leurs affaires. Ils ont passé leur temps dehors à jouer avec les bâtons, l’eau, les cailloux, les insectes…

Revenons à cette année

Bon ça, c’était l’année dernière. Mais je ne pouvais décemment pas vous parler de cette année comme ça, de but en blanc, sans planter le décor. 

Du coup, cette année, plusieurs éléments ont changé : Loon ne tète plus, et je ne veux pas arrêter mon blog, le ralentir, mais continuer.

Nous avons donc décidé que je descendrais une fois par semaine ou par semaine et demie, avec les enfants, pour publier mes articles et continuer mon deuxième travail, ou le premier, je ne sais plus.

Nous voici donc, depuis quatre jours, dans ces reliefs maintenant bien connus, accompagnés de nos 618 brebis, trois chèvres, six chiens et trois poules…

J’écris en gardant les brebis (sur un petit carnet). C’est tellement doux et agréable. Le son des sonnailles m’apaise et m’aide à me concentrer. Lorsque je me déplace, je réfléchis à la prochaine phrase. Les mots se couchent sur le papier presque tout seuls. 

et feedback !

Ça me rappelle l’année précédente, cette sensation que j’ai ressentie en allant garder.

J’adore partager la vie avec mes enfants, mais j’avoue être extrêmement épuisée par moment.

Ça peut être merveilleux et usant en même temps.

J’avais peur que ça fasse trop, les enfants plus la garde. Et c’était le contraire. Ça a été une bouffée d’air pur, des retrouvailles, un réconfort.

Les personnes qui ont aimé cet article ont aussi lu :  Je suis une prédatrice ! Il ne mangera pas mes enfants...

J’avais l’impression d’avoir quatre heures pour moi alors que je pouvais faire entre 500 et 1000 mètres de dénivelé, marcher pendant tout ce temps, parfois sous l’orage (je pourrais vous parler de la pluie, mais c’est vraiment l’orage qui me fait flipper !). 

Ça a été mon premier sentiment : retrouver un petit bout de moi-même, faire quelque chose rien que pour moi!

C’est là qu’on s’aperçoit que la condition de femme au foyer est réellement dévalorisée (ou homme au foyer), que c’est un don de soi énorme. Nous faisons les choses par choix et par convictions et personne ne nous encourage. Quand je dis personne, je pense à la société ou aux commentaires de notre entourage. Certaines personnes sont même accusées de vivre aux crochets de la société, car elles décident de s’occuper des siens tout en demandant le RSA. Entre nous, un RSA pour un tel travail, c’est bien peu payé ! Mais c’est un autre sujet… 

Une fois ce sentiment de retrouvailles éprouvées, j’ai également ressenti la joie de partager ça avec mes enfants. Les voir évoluer dans ce milieu, qui est finalement le milieu naturel de l’homme, en tout cas son milieu racine, m’a comblée de joie. Je savais que nous étions à notre place et que c’était parfait.

Doutes, quand vous me tenez…

Ça ne m’a pas empêché cette année de douter de nouveau, d’appréhender sur un possible ennui.

Mon aînée demande très souvent de voir des copains. Dernièrement il nous a quand même dit, tous les jours, qu’il avait hâte de monter.

Ça y est, nous voilà en route pour la montagne ! Debout six heures, ça faisait longtemps que ça ne nous était pas arrivé. Nous sommes de nouveau derrière le troupeau, on se laisse envahir par la musique des sonnailles, l’odeur des moutons, l’appelle des agneaux. Nous retrouvons également nos trois compagnes, protectrices assidues de nos nuits. Elles s’appellent Heidi, Dune et Yana, deux patounes et un berger d’Anatolie. Ces chiennes si douces, aimantes et pourtant terribles si on touche à leurs brebis, enfin si le loup touche à leurs protégées.

Nous apercevons enfin notre cabane. Elle sera notre logis jusque fin juillet puis de mi-septembre à la fin. Les enfants débordent de joie. Ils réinvestissent la cabane, I extérieur, retrouvent la fontaine… retrouvent leurs marques.

Cette année je me suis occupé de l’acheminement de nos affaires avec l’aide de plusieurs personnes et Rico de mener les brebis.

Le midi, gros repas de fête avec grillades et tout ce qu’il faut. Nous sommes contents de partager ce moment d’effervescence avant de nous retrouver au calme, entre nous, nous et nos animaux.

Ça y est, tout Le Monde s’en va. Non nous laissons tomber sur les chaises, épuisés. Épuisés et heureux.

Rapidement, je me mets en route pour aller garder. Mon premier après-midi de garde. Les enfants ont voulu venir avec moi, et je n’ai pas eu l’énergie de les convaincre de rester à la cabane. Ils ont grandi. Ils marchent bien. Ils s’amusent à ramasser les chardons séchés. Ils jouent dans la Chapelle, se trouvent des bâtons de marche, inventent des cabanes dans tous les trous trouvés.

Cela fait maintenant trois jours, trois jours que nous sommes en alpage. Et après ces quelques lignes, mes doutes s’envolent…

C’est à vous

Dites-moi ce que vous inspire ce récit. Qu’aimeriez-vous découvrir de notre vie de bergers ?

Partager l'article :

11 commentaires

  • veronika mathevet

    Une super histoire, j’ai hate de lire la suite, merci
    et ca donne envie de monter en alpage aussi avec mon fils de 3 ans…. Que j’allaite encore un peu au lever et au coucher.
    A bientot
    Veronika

  • Delannoy

    Merci pour ce beau texte et ce partage. Quel retour aux sources ! On ressent bien l’ambiance avec les enfants. C’est vraiment chouette de faire ça en famille. Vivement la suite des aventures !!! Sinon, comment faites-vous pour déménager vos affaires entre les 2 cabanes ?
    Bonne continuation. Hélène

    • Marion Billon

      Salut hélène! Pour déménager nous utilisons une remorque car les deux cabanes sont accessibles par un piste. Comme pour la montée, un déménage les brebis, l’autre les affaires. Bises

  • Catherine

    Merci 🙏 pour ce beau partage 😊
    Enseignante maternelle en Belgique, j’aime beaucoup lire une grande variété de blog. Le tiens ( et d’autres sur l’ief) m’aide à me remettre en question. Je sais que le système scolaire est très très loin d’être parfait et j’essaye à mon niveau d’apporter un maximum de bien-être aux petits bouts que j’accueille. Beaucoup de parents n’ont pas le choix et doivent confier leur enfant à des personnes (ou institutions) étrangères. J’aime essayer de mériter au maximum leur confiance.
    Continue de nous faire rêver, de nous ouvrir de nouveaux horizons…. c’est passionnant. Merci.

  • Pris

    le rêve ! j’aime tellement la montagne et la nature et tous ça avec vos enfant.
    j’ai toujours vu des bergers petites dans les pyrénnée maintenant on y voit beaucoup de bergére et d’enfants, de familles je trouve ça géniale.
    comment avez vous fait pour faire bergére ? etes vous employée ? que faites vous comme travail le reste de l’année?

    • Marion Billon

      Bonjour !
      Nous sommes employés et j’ai commencé comme entrepreneur de garde, c’est-à-dire que j’étais indépendante.
      Le reste de l’année je suis blogueuse et je m’occupe de mes enfants.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

vgo('process');